Loi sur le génocide Arménien

Par Julien Lemaire

Rappel des faits
L'assemblée nationale a adopté le 12 octobre 2006 un projet de loi visant à sanctionner la contestation ou la négation de l'existence du génocide arménien de 1915. C'est un texte qui complète en fait la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Mais il s'agissait d'une loi à portée déclarative, sans conséquence directe en terme de droit pénal. Certains députés ont considéré qu'il s'agissait là d'un vide juridique voire d'une inégalité et ils ont déposé, le 26 novembre 2003, un projet d’amendement visant à donner au génocide arménien le même statut que la Shoah face au négationnisme. Il s’agissait en somme de s’aligner sur la loi Gayssot, qui réprime non seulement l’apologie, mais aussi la négation de la Shoah.

Or, il faut savoir ce que l'utilisation du terme génocide signifie : génocide désigne, par définition, la tentative d'extermination planifiée d'un peuple. C'est sur cette notion de planification que certains historiens minoritaires remettent en cause le caractère génocidaire des massacres perpetrés envers les Arméniens.

Un débat scientifique encore en cours

Il faut rendre à César ce qui est à César : cessons de légiférer à outrance sur l'histoire du monde et de la France et laissons les historiens faire leur travail. C'est ainsi que sans prendre position sur le génocide arménien lui-même, Jean-Pierre Azéma a vivement critiqué les propositions de loi en France visant à pénaliser la négation du génocide arménien, considérant que les critiques émises par ses confrères sur l'emploi du terme génocide relèvent de la discussion scientifique ordinaire.

Gilles Veinstein, historien spécialisé sur l'histoire ottomane et turque, dans un article commandé par la revue L'Histoire pour son dossier consacré à la déportation des Arméniens en 1915, paru en avril 1995, relativise le génocide en rappelant l'existence des massacres de turcs perpétrés par les milices arméniennes, mais estime que le terme génocide ne saurait s'appliquer d'une façon incontestable aux massacres d'Arméniens perpétrés par les turcs en 1915-1916. En somme, cela ne serait pas de la pure et simple négation, mais plutôt de la relativisation.

Tout en considérant que les massacres de 1915-1916 constituent bien un génocide, des historiens comme Pierre Chuvin (professeur à l'université de Paris-X-Nanterre, membre du comité de rédaction de L'Histoire) ou Pierre Vidal-Naquet, ont défendu le droit de Gilles Veinstein à proposer un point de vue différent.

Opposition aux « lois mémorielles » ou à une Histoire d'Etat officielle

Dans cette optique, Pierre Nora a créé le collectif Liberté pour l'Histoire qui dénonce l'intrusion du législateur dans le travail des historiens. On se souvient également de la loi votée par les députés et sénateurs français le 23 février 2006 sur " le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du nord ". Voici en substance ce que dit cette loi : la France exprime sa reconnaissance à tout son personnel qui a participé à la colonisation, dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine. Le texte préconise par ailleurs que les programmes scolaires reconnaissent " le rôle positif " de la présence française, notamment en Afrique du Nord.

Or, il s'agit bien là aussi d'un débat d'historiens qui doit se dérouler sans entrave et avec toute la rigueur scientifique nécessaire mais ce n'est surtout pas à l'Etat d'intervenir et de légiférer pour exprimer son point de vue sur l'histoire de France.